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Les titres par année de parution


Le Voisin de zéro
Format : 13,5 x 21,5 cm
Nombre de pages : 96
Prix : 18 €
Date de parution : 2007
ISBN : 9782718607146




Le Voisin de zéro
Sam Beckett


PRÉSENTATION

« Pourquoi, Beckett, je peux l’aimer, un peux précieux, rare, moi qui ne suis pas du côté du noir gris, je peux l’aimer lui figé en perte d’équilibre, moi qui préfère le bond, traverser toutes les zones opaques, épaisses, paresseuses, luxurieusement paresseuses de son brouillard, pour venir l’aimer quand même, donc comme mon prochain ? À cause de l’insistance à être lui-même d’hier à l’au-delà, dès aujourd’hui, lui-même fidèle à lui-même, à être inflexiblement, si cassé, rompu soit-il, le même lui-même, sans adultération, à avoir toujours été celui qu’il serait et inversement à devenir sans fin celui qu’il aura toujours déjà été incorruptiblement, l’être devant la fin, toute la vie et tout le temps des temps à jamais devant la fin. Il doit la fin, il se la doit, il nous la doit, toute sa vie rampée devant la fin, sans mort, à vamper la fin, en vain, à camper dans le voisinage de zéro. Rêvant de zéro, à cause du croassement-vagissement-râle de sa voix Belacquienne, parce qu’il aura fait le tour du monde purgatorial purgeant-purgé, clopant-clopé pour revenir réduit à presque rien, le même sur les mêmes semelles élimées par les temps.
C’était le 14 Août 1922. Proust s’en allait. “Et si le monde allait finir – que feriez-vous ?” avait demandé le journal L’Intransigeant, petite question. Aller finir. Comme la vie nous paraîtrait brusquement délicieuse dit celui qui partait. Alors notre paresse, qui ajourne sans cesse la vie serait défaite. Si le monde allait finir, à la fin, je vivrais dit le mourant, je m’arracherais à la négligence.
C’était le 9 décembre 1989. Beckett s’en allait. I’m done dit-il. Et vous, maintenant que le monde va finir, demandera V, une voix curieuse, à Beckett, que direz-vous ? Was there much of the journey you found worthwhile ? Réponse : Precious little. Deux mots. Intraduisible. Qu’est-ce que ça valait, ce voyage ? Precious little. Bien peu. Pas grand chose. Littéralement : précieusement peu. Bel oxymore idiomatique. Ce qui est précieux c’est peu, peu précieux. Je peux aimer ce peu.
Precious little. Pour Proust les cinq visitations : pavé cuillère assiette serviette conduite d’eau, tasse. Clés de sa vie-œuvre. Pour son successeur : crâne, bâton, sable, ciel, gris, roi dans le noir. Les Presqueriens du tout qui font le Tout.
Cruel Sam Beckett, oui, non, cruel d’une cruauté désaffectée, naturelle, structurelle, blanche, cruauté blanche, peut-être grise puis de moins en moins, encore de moins en moins, plus encore, fidèlement cruel sans sang, sans une goutte de sang, ce serait trop cru, non autocruauté, non sans une compassion, blanche, ou grise, mais sans aucune pitié, une compassion d’accompagnement du personnage, indistinct mais semblable, sinon de solidarité non, mais au moins d’écho, de -co. Un petit minimum d’avec. Là, dans la minime infinissime compagnie demeure ce qui n’aura jamais abandonné Beckett, n’aura jamais été abandonné, l’écriture, ou le texte. Si râpés, rognés, niés, qu’aient réussi à être le ton et la rotonde il aura toujours, régulièrement, samblablement signé Sam. Dès les premiers mots, déjà ce sont, semblables, les derniers mots. Ça, j’admire. Dès le premier vol de l’artiste Trinity College – ens Ulm aller-sans-retour. Il a tout lu tout vu tout su tout chu Dublin, Joyce, Florence, Paris, tenu, Dante, Mandelstam, rien n’a mordu sur lui ni personne sur son caillou, il reste le même géant recroquevillé sur un galet. Comme l’autre géant, son seul prochain, Proust qu’il peint penché sur ce puits superficiel d’une banalité insondable : une tasse. Proust un géant et sa tasse à monde, le seul qu’il puisse avaler, le géant, la tasse, Proust parce que Joyce, il ne peut pas le gober. Proust, son génie, il n’en aura fait qu’une gorgée. Il a vingt-quatre ans. Proust vient de mourir. Je devrais dire tomber. Aussitôt Beckett le relève, le géant et son pavé inégal. Beckett version echo’s bones de Proust. »

H. C.

© Éditions Galilée
Site édité avec le concours du Centre national du livre
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